Dans cette interview exclusive, queer.lu s’est rendu au bureau du Parlement européen à Luxembourg le 23 janvier pour discuter avec les députés européens Tilly Metz et Marc Angel des défis auxquels est confrontée la communauté LGBTIQ+ en Europe et au-delà.

Tilly Metz est députée européenne pour le Parti vert luxembourgeois (déi gréng), tandis que Marc Angel siège pour le LSAP/S&D et occupe le poste de vice-président du Parlement européen. Tous deux sont des membres actifs de l’intergroupe sur les droits des LGBTI, un groupe informel qui observe et surveille la situation des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués (LGBTI) dans l’UE et assure la liaison avec les groupes de la société civile afin de relayer leurs préoccupations au niveau européen.

Kusaï Kedri : Je souhaite vous parler de la communauté LGBTI en Europe, de ses espoirs, ses craintes et la façon dont vous percevez la réalité de notre combat. Commençons par le rapport publié en 2019 par l’Agence des droits fondamentaux en Europe, qui a mené une enquête auprès de plus de 140 000 personnes dans les 27 États membres, ainsi que le Royaume-Uni, la Macédoine du Nord et la Serbie. Le but de cette enquête est d’interroger les personnes qui s’identifient comme LGBTI sur leurs émotions, leurs sentiments vis-à-vis de leur vie quotidienne, et les réactions ont été assez inquiétantes. Je vais vous lire quelques-unes des conclusions de ce rapport.

  • Une personne LGBTI sur trois déclare rencontrer des difficultés à joindre les deux bouts.
  • Une personne sur cinq déclare être victime de discrimination sur son lieu de travail et la situation est encore pire pour nos sœurs et frères transgenres.
  • Six personnes sur dix disent qu’elles évitent de se tenir la main dans la rue et une personne sur cinq, en particulier au sein de la communauté transgenre, dit avoir été agressée physiquement.

En tant que personnes ouvertement gays et lesbiennes, avez-vous déjà vécu ce genre de difficultés ?

Marc ANGEL : J’ai été élevé ici, au Luxembourg, et ma famille était très ouverte. Je n’ai donc jamais vécu cela, mais c’est la réalité, non seulement en Europe centrale et orientale, mais aussi dans presque tous les États membres de l’Union européenne.

Tilly METZ : Je dirais la même chose que Marc, mais je connais les conclusions du rapport et je pense qu’en temps de crise, les gens ont tendance à s’en tenir au très traditionnel et ont peur de tout ce qui sort du cadre.

On pourrait s’attendre à ce que les jeunes générations acceptent mieux de faire leur coming-out, mais les mêmes peurs semblent persister, même au Luxembourg, sans parler des pays où il existe des zones interdites aux personnes LGBTIQ  ou ceux où il est même interdit de parler des questions LGBTI dans les écoles, comme c’est le cas en Hongrie.

 Marc ANGEL : Je travaille beaucoup avec Transgender Europe et avec des personnes trans au sein de notre Intergroupe LGBTIQ et je peux confirmer que la situation est encore pire pour eux, mais, d’un autre côté, j’aimerais noter qu’il y a aussi de bonnes nouvelles. Le dernier Eurobaromètre montre que le grand public est de plus en plus tolérant à l’égard des personnes LGBTIQ, malgré les réactions de l’extrême droite, du mouvement anti-genre.

KK : En tant que décideurs politiques européens et membres de l’Intergroupe LGBTI du Parlement européen, comment réagissez-vous aux frustrations et aux craintes exprimées par certains membres LGBTIQ+ ?

Marc ANGEL : En tant que coprésident de l’Intergroupe, je peux dire que nous avons été très actifs. Nous avons 160 membres du Parlement européen dans notre Intergroupe sur 705. Bien sûr, ce ne sont pas tous des membres de la communauté LGBTI, mais ce sont des alliés et c’est très important. Au cours du dernier mandat de l’UE de 2019 à 2024, nous avons adopté 150 résolutions qui traitaient entièrement ou partiellement des questions LGBTI. Nous avons également encouragé l’adoption de nouvelles législations et résolutions LGBTI. En tant que rapporteur de l’UE pour l’équivalent luxembourgeois du « Centre d’Égalité de Traitement » qui vise à renforcer l’égalité et à garantir plus d’indépendance au sein des organes de l’UE, nous nous efforçons de lutter contre diverses formes de discrimination et nous avons réussi à introduire une directive qui traite non seulement de l’orientation sexuelle, mais aussi de l’identité de genre, de l’expression de genre et des caractéristiques sexuelles, ce qui est important, car la communauté trans et les personnes non binaires ne sont pas encore vraiment incluses dans le traité et dans la charte des droits fondamentaux. Je travaille également sur la transparence des salaires afin de combler l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes. Lorsque nous parlons d’hommes et de femmes aujourd’hui, en 2024, il s’agit d’hommes et de femmes dans toute leur diversité… Nous sortons donc un peu de ce système binaire, pour entrer dans un système plus linéaire.

KK : Tilly, Marc a mentionné la reconnaissance juridique des personnes non binaires et intersexuées. Pouvez-vous nous en dire plus sur les efforts déployés pour reconnaître ces genres ?

Tilly METZ : Je comprends qu’elles se sentent encore exclues, même si des efforts sont déployés pour introduire une nouvelle législation qui adopte une approche globale des identités de genre, comme l’a mentionné Marc. Il est important de promouvoir une législation qui s’adresse explicitement aux personnes non binaires et intersexuées. Pour vous donner un exemple, j’ai été rapporteuse dans une commission sur les travailleurs des plateformes au sein de la commission des transports et, dans ce domaine nous avons remarqué l’IA a déjà un impact non négligeable, c’est pourquoi nous devons veiller à ce que les algorithmes en place ne fassent pas de discrimination sur la base de l’identité de genre. J’ai également été rapporteuse sur le règlement SoHO de l’UE qui garantit une meilleure protection des donneurs et des receveurs de sang, de tissus, de cellules et de toute autre substance d’origine humaine. Là encore, nous avons travaillé d’arrache-pied pour mettre fin à la discrimination à l’encontre des personnes LGBTIQ+.

KK : Marc, votre travail en tant que député européen implique une coopération avec des pays hors de l’UE où l’homosexualité est un péché et peut être punie par la loi, avec des peines pouvant aller jusqu’à la peine de mort. Comment coopérez-vous avec ces pays ?

Marc ANGEL : Il y a peu de temps, nous avons adopté une résolution sur la décriminalisation des relations homosexuelles lorsqu’une loi anti-LGBTIQ+ a été adoptée en Ouganda ; elle prévoit la peine de mort pour les actes homosexuels.

Nous travaillons également avec le Service européen pour l’action extérieure, qui est le bras armé de l’Europe et qui dispose d’un ambassadeur spécial pour la diversité et l’inclusion, et nous essayons de soutenir la société civile dans ces pays.

J’ai récemment visité l’Angola où j’ai rencontré l’organisation de la société civile LGBTIQ+ Iris. L’Angola a récemment décidé de décriminaliser les relations entre personnes de même sexe et c’est un grand pas en avant. Le problème, c’est que le mouvement international anti-genre investit de l’argent dans de nombreux pays africains pour tenter de rendre la vie plus difficile aux personnes LGBTIQ+, et nous devons nous y opposer. Je milite également contre le sida et lorsque je me rends en Afrique ou dans d’autres parties du monde, j’essaie toujours de les encourager à s’occuper des populations clés, des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, des toxicomanes, des travailleurs du sexe qui doivent bénéficier d’un accès égal au traitement. Lorsque je soulève ces questions, on me répond parfois que ces problèmes n’existent pas dans leur pays et que nous voulons les leur imposer. Nous devons avoir des conversations franches avec eux et leur rappeler que ces problèmes existent partout.

KK : Tilly, qu’en est-il de l’Union européenne ? Certains pays de l’UE tentent de faire reculer les droits des personnes LGBTIQ+. Comment réagissez-vous face à ces pays qui sont censés partager les mêmes valeurs européennes ?

Tilly METZ : Je pense qu’il est très important de leur faire comprendre très clairement que cela ne correspond pas aux valeurs européennes. S’ils commencent à mettre en place leurs « zones libres de personnes LGBTIQ » [ndlr : en référence à la Pologne], nous leur répondons que nous sommes pour les « zones de liberté LGBTIQ « . Au niveau institutionnel, nous devons dire clairement que nous défendrons les droits fondamentaux européens. Si un pays ne respecte pas les valeurs européennes, nous devons entreprendre des sanctions et lui rappeler notre mode de fonctionnement. Aux niveaux local, national et européen, les conséquences doivent être très claires. En ce qui concerne la Pologne, l’espoir renaît après la dernière élection. J’ai rencontré des personnes LGBTIQ+ en Pologne qui envisageaient de quitter leur pays parce qu’elles ne se sentaient plus en sécurité, bien qu’elles aient une vie confortable et des emplois stables. Je tiens à ajouter que malgré les progrès réalisés en matière de droits des personnes LGBTIQ+, le défi le plus important se situe au niveau des mentalités, qui sont encore réticentes au changement. Les mentalités doivent changer et il y a encore beaucoup à faire sur le terrain, même dans nos propres cours de récréation, il y a encore beaucoup d’injures qui circulent à l’encontre des personnes LGBTIQ+. Ce n’est pas parce que c’est écrit dans les textes de loi que les mentalités vont automatiquement suivre. Il y a encore du travail à faire.

Marc ANGEL : J’aimerais revenir sur le cas de la Hongrie en ce qui concerne les lois LGBTIQ+, et la soi-disant loi sur la protection de l’enfance qui est une copie de la loi russe sur la propagande anti-LGBT. La Commission européenne a finalement traduit la Hongrie devant la Cour européenne de justice avec le soutien de 15 États membres, une première dans l’histoire de l’UE. Cela montre que non seulement le Parlement, mais aussi le Conseil, les États membres ne veulent pas que cela se produise. Nous bloquons l’argent destiné à la Hongrie jusqu’à ce que nous voyions l’issue de la procédure judiciaire.

KK : Parlons des prochaines élections européennes. Le vote LGBTIQ+ aux élections locales, nationales et bientôt européennes gagne du terrain, probablement grâce au fait que de plus en plus de personnes homosexuelles font leur coming-out et se sentent à l’aise. Quel est votre message à ceux qui ont le droit de vote mais ne se sentent pas du tout concernés par la politique ?

Tilly METZ : Je pense que les sondages montrent clairement qu’il y a un risque de poussée de l’extrême droite lors des prochaines élections européennes et je crois qu’il est très important que nous expliquions aux gens les conséquences pour l’UE si l’extrême droite obtient plus de pouvoir. Les droits des personnes LGBTIQ+ risquent d’être bafoués. Il est plus important que jamais d’aller voter. Évidemment, dans certains pays de l’UE comme le Luxembourg, le vote est obligatoire [ndlr : pour les citoyens luxembourgeois], mais il est important de rappeler aux gens que, s’ils ne veulent pas vivre dans une Europe où les droits pour lesquels nous nous sommes battus sont maintenant dilués, voire supprimés, il est temps d’agir et de voter pour des politiques et des politiciens progressistes, ouverts et inclusifs.

Marc ANGEL : Je leur dirais : l’Europe n’est certes pas parfaite, mais améliorons-là ensemble et faisons barrage à ceux qui veulent détruire ce merveilleux projet. Que se passe-t-il lorsque l’extrême droite est au pouvoir ? Regardez l’Italie et le bilan de la première ministre Giorgia Meloni, où une mère non biologique a perdu la garde de ses enfants à la suite du décès de sa conjointe. C’est terrible et cruel. Certains pays tentent de faire de la communauté LGBTIQ+ une sorte de bouc émissaire pour détourner l’attention du public de la corruption et de la mauvaise gestion. Ce qui est encore plus alarmant, c’est la tentative de blanchir l’extrême droite. Nous voyons de plus en plus de pays de l’UE où les partis de centre-droit entrent en coalition avec l’extrême-droite sans sourciller, sans parler de la montée des discours de haine parmi les politiciens et nous savons très bien que les discours de haine sont souvent suivis de crimes de haine. Par conséquent, mon message aux résidents de l’UE au Luxembourg : vous avez la possibilité de vous inscrire et de voter ici ou dans votre propre pays, alors s’il vous plaît, allez voter.

KK : Passons maintenant, si vous le voulez bien, à des questions plus légères. En tant qu’élus, vous tirez une grande partie du sens de votre vie de votre travail. Comment conciliez-vous cela avec votre vie personnelle ?

Tilly METZ : Je dis toujours que je me sens un peu comme une nomade. Je vis entre trois villes : Strasbourg, Bruxelles et Luxembourg et ma femme, qui est également députée ici à Luxembourg, a aussi beaucoup de responsabilités. Il est donc très difficile de trouver des moments où nous passons du temps ensemble, surtout en ce moment avec les élections, mais il est très important de trouver ces moments. Souvent, nous trouvons le temps de passer un moment de qualité avec nos chiens, nos familles et ma fille.

Marc ANGEL : Ce n’est pas facile pour la compagne d’un homme politique, mais j’ai la chance d’avoir un mari fantastique qui me soutient beaucoup. Il est très patient. Lorsque je suis au Luxembourg, nous passons de bons moments ensemble. Pendant la semaine, mon agenda est organisé par mon bureau de vice-présidente du Parlement européen, mais le week-end, c’est lui qui organise l’agenda privé : où nous allons dîner, quelles invitations nous acceptons et quels films nous allons voir. Cela me donne un merveilleux équilibre et je suis très fière de lui. Il est toujours bon de savoir que l’on a quelqu’un qui nous aime à la maison et sur qui on peut compter.

KK : Je voudrais maintenant que vous pensiez à un homme, une femme, une personne non conforme au genre que vous souhaiteriez voir figurer sur un éventuel billet de banque européen. De qui s’agirait-il ?

Marc ANGEL : J’ai une amie à Budapest. Elle s’appelle Vicky et elle est l’organisatrice de la Budapest Pride. C’est une personne très forte et engagée dans un environnement difficile. Elle a pu organiser de merveilleuses prides et joue un rôle politique très important. Pour moi, Vicki serait une excellente candidate pour un billet de banque européen.

Tilly METZ : Je dois dire que même si la personne que j’ai en tête ne fait pas partie de mon parti politique, je garde beaucoup de respect pour Colette Flesch. Non seulement elle était pro-européenne, mais elle a été l’une des premières personnes à ne pas avoir peur de ce qu’elle était. Elle était amoureuse d’une femme et elle ne s’en est pas cachée, ce qui lui a permis de briser de nombreuses barrières.

KK : Faire son coming-out est souvent assez difficile, rester dans le placard l’est encore plus. Vous souvenez-vous de la première personne à qui vous avez fait le vôtre ?

Tilly METZ : Absolument. J’étais mariée à un homme merveilleux et je suis tombée amoureuse d’une femme. Il a donc été la première personne à l’apprendre et ce n’était pas un moment facile, mais je savais que j’aimais cette femme et je l’aime toujours et il n’y a aucune chance que je revienne là-dessus.  Mais je crois que l’une des raisons de notre solide amitié aujourd’hui est le fait que je lui en ai parlé très tôt.

Marc ANGEL : Je me souviens que j’ai dit à mon père que j’étais gay à l’âge de 17 ans. Il m’a répondu : « Pas de problème, je le savais déjà ».  Comme je l’ai dit précédemment, j’ai eu beaucoup de chance de grandir dans une famille très progressiste. Mon père était le fondateur du mouvement pour le planning familial dans les années 60. J’ai également eu de la chance au lycée. Lorsque j’ai révélé mon homosexualité à mes camarades en 1981, je n’ai jamais été victime de brimades.

KK : Quel mot aimez-vous le plus ?

Tilly METZ : Tolérance, acceptation.

Marc ANGEL : Bonheur.

KK : Quel mot détestez-vous ?

Tilly METZ : Abus de pouvoir.

Marc ANGEL : Haine.

KK : Quel est le son que vous aimez le plus ?

Marc ANGEL : Le son de la musique.

Tilly METZ : J’aime quand mes chiens rient. Je ne sais pas comment le décrire, mais quand ils sont heureux, ils ont un son très particulier. C’est comme s’ils riaient.

KK : Quelle est votre drogue préférée ?

Marc ANGEL : Un bon verre de vin rouge.

Tilly METZ : Je pense que ma passion est aussi une sorte de drogue. J’ai besoin d’être passionnée, par les gens, par les causes. C’est comme une drogue pour moi.

KK : Quel métier auriez-vous détesté exercer ?

Marc ANGEL : Ministre de l’Education. Non, je plaisante. C’est un métier difficile et je le dis, parce que j’ai été enseignant et que je sais à quel point c’est difficile. Comme je l’ai dit, je n’aime pas le mot détester, parce qu’on peut faire de tout quelque chose de bien, donc il n’y a pas de métier que j’aurais détesté. Il n’y a donc pas de métier que j’aurais détesté. Tous les métiers sont bons, tant que l’on aime se lever chaque matin pour aller travailler.

Tilly METZ : Huissier de justice. Je trouve cela très difficile. Il faut bien que quelqu’un le fasse, mais c’est un métier que je ne pourrais jamais faire.

KK : Si vous deviez vous réincarner dans un animal, une plante ou un arbre, quel serait-il ?

Marc ANGEL : J’avais un chien avant d’avoir un chat et maintenant je suis aussi devenu fan de chats, alors soit un chat, soit un chien.

Tilly METZ : J’aime tous les animaux, mais si vous me demandez vraiment ce que j’aimerais être, j’aimerais être un oiseau. J’aimerais voler.

KK : Que souhaiteriez-vous que Dieu vous dise une fois que vous serez morte ?

Tilly METZ : J’aimerais qu’il me dise simplement : tu as fait de ton mieux.

Marc ANGEL : Exactement la même chose. Un merci pour ce que tu as fait et peut-être que tu aurais pu faire mieux. Je l’accepterais.