Après la victoire de Némo, l’artiste Suisse non-binaire, à l’Eurovision, la question des pronoms s’est posée dans les médias luxembourgeois : comment parler d’une personne non-binaire ? Parfois désignée par “il”, parfois par “elle” dans bon nombres d’articles de la presse locale, le mélange de genre a vite mis le feu aux poudres.

Bien qu’il s’agissait là d’un effort méritoire étant donné le manque de règles claires au sujet des pronoms neutres, la langue évolue, et des solutions peuvent être élaborées. Les néo-pronoms demandent un petit temps d’adaptation si on n’a pas l’occasion de les utiliser régulièrement, mais c’est au final la meilleure chose à faire. Dans l’idéal, on aurait juste à demander les pronoms des autres, puis nous y conformer.

L’identité non-binaire est un sujet de discussion relativement nouveau dans l’usage de la langue, au Luxembourg et bien au-delà. Beaucoup de pays sont actuellement en train de batailler pour trouver des adaptations grammaticales et lexicales. Pour celleu dont l’anglais est la langue principale, le pronom neutre “they” semble convenir à la plupart des personnes non-binaires. C’est simple, et permet apparemment de s’affirmer. En anglais, les verbes sont censés rester singuliers lorsque le sujet est un nom propre, mais “they” implique que le verbe doit être conjugué au pluriel. Par exemple : Charlie is our new friend. They are a non-binary person. (en français : Charlie est notre nouvol amix. Iel est une personne non-binaire). Bien qu’il soit encore peu usité, “they” (ou “dey”, emprunté à l’anglais) peut être une alternative aux pronoms genrés “il” et “elle”, même en allemand et en luxembourgeois.

De plus, l’anglais est une langue neutre. Beaucoup de noms d’emplois ou de titres peuvent donc avoir un équivalent non genré, comme spouse, parent, sibling, cousin, doctor, flight attendant (partenaire/épouxe, parent, adelphe, cousan/cousaine, docteureuse, membre de l’équipage). Mais une telle chose n’est pas possible en ce qui concerne les langues officielles du Luxembourg, qui sont des langues genrées : le français, l’allemand et le luxembourgeois. Ces langues nécessitent constamment la répétition du genre des locutaires sous de multiples formes.

Pour cet article, nous avons contacté quelques personnes non-binaires de la région ainsi que des alliés et alliées soucieuxe pour étudier quels pronoms iels utilisent, lesquels iels préfèrent, et quelles sont les solutions qu’iels envisagent pour le futur (que ce soit pour les néo- pronoms ou le langage neutre).

En Luxembourgeois, les articles sont utilisés pour parler des personnes et des objets. Comme nous l’explique Marielle, une enseignante luxembourgeoise : les articles masculins sont “den/de”, ou “en/e” (le “n” est employé seulement si le nom commence par l’une des lettres suivantes : UNITEDZOHAY), les articles féminins ou neutres sont quant à eux “d’/eng” et “en/e”, respectivement. Lorsqu’ils font référence à des personnes, l’article placé avant le nom de la personne indique son genre : d’Anna (féminin, avec le pronom neutre “d’”) et de Ben (masculin). Ceci crée des difficultés pour les personnes non-binaires, qui pourraient préférer des alternatives non genrées.

Marielle propose de laisser tomber ces articles introductifs avant les noms propres. Bien que cela puisse paraître inhabituel pour la plupart des Luxembourgeois de naissance, on rapporte cependant que c’est un standard utilisé dans la région Éislek, aussi appelée les Ardennes luxembourgeoises. C’est la forme que Marielle utilise désormais par défaut lorsqu’elle fait référence à des personnes non-binaires, par exemple : Sam Smith kënnt demnächst op Lëtzebuerg (en français : Sam Smith arrivera bientôt au Luxembourg.)

Pour les pronoms possessifs (son/sa/leur), le luxembourgeois utilise la forme neutre “seng” pour les formes masculines et féminines (comme les pronoms féminins sont déjà neutres). Par exemple : Ech ginn op (dem) Sam Smith säi Concert. (pas d’article). Seng Show ass flott. (en français : Je vais au concert de Sam Smith. Leur spectacle est génial).

Un autre dispositif genré existe avec la forme de politesse “Si”, utilisée pour qualifier les femmes appelées “Madame” (pour les professeures ou les femmes plus mûres en position d’autorité). “Hatt” sert à qualifier les femmes dont on a mentionné le nom plus tôt, tandis que “si” sert de pluriel pour tous les autres genres.

Donc, cinq options existent pour faire référence à une personne non-binaire en luxembourgeois :

  • Utiliser les pronoms préférés par la personne non-binaire (évidemment !)
  • Répéter leur prénom plutôt que d’utiliser des pronoms
  • Utiliser le pluriel “si”
  • Emprunter “they” (dey) de l’anglais
  • Créer des nouveaux pronoms

Selon Marielle : “Les Luxembourgeois ne devraient pas se plaindre qu’on invente/introduise un nouveau pronom, car la différence hatt-si n’a jamais été un problème pour les locuteurs natifs. Les personnes apprenant le luxembourgeois ont beaucoup de difficultés avec cette différence.

En allemand, des formes au genre inclusif peuvent être marquées à l’écrit par *in, :in, _in ou “Innen” pour créer un langage plus inclusif. Par exemple : Kund:in, Kund_in ou Kund*innen. L’émergence de néo-pronoms comme xier/xieser/xiem/xien et dey/denen/deren pose cependant certains problèmes à cause de la complexité de la grammaire allemande. L’allemand est plus pointilleux sur l’usage des pronoms à cause de son système complexe de cases, ce qui nécessite beaucoup plus de formes pronominales qu’en anglais. L’anglais s’en sort avec deux pronoms personnels genrés (he/she) et un possessif genré (his/her). Les pronoms relatifs anglais ne sont pas genrés, ce qui facilite la tâche. Par exemple : This is the girl whom I like. She is the one who organised the event. (C’est la fille que j’apprécie. C’est elle qui a organisé l’événement). En allemand, l’option actuelle la plus “simple” serait d’éviter d’utiliser les pronoms en répétant le prénom, comme précédemment indiqué pour le luxembourgeois. C’est également la méthode privilégiée par Nemo en allemand. Cependant, cela peut créer des phrases relativement lourdes, par exemple : Nemo singt gerne, da Nemo sich gerne frei ausdrückt. (en français : Nemo aime chanter, car Nemo aime pouvoir s’exprimer librement). L’usage de “es” (l’équivalent de “it” en anglais) est généralement évité, à cause de son ton dégradant lorsqu’il est utilisé pour une personne.

Nous avons également demandé l’avis de Seli, une personne non-binaire de langue maternelle allemande, qui a étudié et qui travaille désormais au Luxembourg. Iel nous en a dit plus sur son expérience des langues officielles du Grand Duché.

En allemand, Seli préfère les néo-pronoms “dey/denen/deren”, mais ne nie pas que beaucoup ont du mal avec cette forme. Iel utilise également des formulations non genrées à l’oral, et préfère lorsque celles et ceux qui lui parlent en font autant. Seli utilise des ressources comme https://geschicktgendern.de/, qu’iel juge très utile pour trouver des alternatives non genrées, par exemple : (der) Lehrer → Lehrerperson/Lehrkraft (en français : professeur/professeure, membre du corps enseignant). Dans des situations plus formelles, Seli accepte avec réticences de se faire appeler Frau (Madame) + son surnom, mais iel espère pouvoir avoir accès à des options pronominales plus inclusives dans d’autres langues, comme “Mx” en anglais. Iel espère également ardemment qu’un genre neutre officiel sera instauré dans les trois langues.

Seli est en train d’apprendre le luxembourgeois, mais iel le trouve “très binaire” et comme manquant d’alternatives neutres, ce qui rend compliqué pour iel le fait de se sentir pleinement reconnu.e. “Le manque de neutralité de genre me rend triste, car j’apprécie vraiment cette langue en fait, et je l’utilise souvent dans ma vie de tous les jours. Aussi, c’est dur d’être mégenré.e constamment et de ne pas pouvoir dire aux gens comment s’adresser à moi correctement à cause du manque d’options,” nous a fait remarquer Seli.

En français, langue qu’iel n’utilise pas fréquemment, Seli préfère le néo-pronom “iel”, qui est une combinaison du masculin “il” et du féminin “elle” pour exprimer l’identité non-binaire. Iel trouve d’ailleurs plus simple d’utiliser le langage neutre français à l’écrit plutôt qu’à l’oral. Par exemple : “La∙le directeur∙ice” ou “Les étudiant∙es sont actif∙ves”.

Dans l’ensemble, Seli pense que la langue évolue, et que les gens peuvent devenir meilleurs dans leur utilisation du langage inclusif en le pratiquant et en restant ouverts d’esprit. “Cependant, il devrait  toujours y avoir de la place pour que de nouveaux néo-pronoms soient inventés et existent, car toutes les personnes non-binaires ou qui ne se conforment pas au genre binaire ne se sentent pas représenté.es par le même pronom neutre,” ajoute-t-iel.

Nous avons également parlé avec Clara, qui communique principalement en anglais et en français. Iel commence tout d’abord par nous dire qu’iel ne se sent pas vraiment offensé.e lorsque quelqu’un l’appelle “elle” (notamment car Clara se présente de manière féminine), c’est juste que cela lui paraît étrange. C’est également dû au fait que Clara n’est pas encore tout à fait fixé.e sur la “case” qui lui conviendrait le mieux. Pour iel, c’est aussi une question d’énergie : “Je ne pense pas que je pourrais avoir l’énergie de corriger les autres sur mes pronoms, donc les déballer devant eux et les mettre en évidence, c’est aussi être en évidence, et ça me fait peur. Peut-être que si j’avais plus de confiance en qui je suis et que j’avais moins peur du jugement des autres, alors je serais plus affirmé.e dans ma vie quotidienne.” Souvent, les gens ne sont pas intéressés par ce sujet, et ne feront donc pas de recherches de leur côté. Enseigner les néo-pronoms à l’école à un jeune âge pourrait cependant être une solution.

En français, les choses sont beaucoup plus complexes à cause de la structure genrée de cette langue, nous dit Clara. Compte tenu du fait qu’iel utilise le français dans des milieux en majorité conservateurs, iel utilise généralement les accords féminins. Si iel se sent plus en sécurité, alors iel privilégiera le pronom “iel”, tout comme Seli mentionné.e avant. Cependant, ça ne résout pas le problème des marqueurs de genre, et nécessiterait une réorganisation complète de la grammaire. C’est là la plus grande source de frustration pour les personnes non-binaires : expliquer fréquemment leurs pronoms à celles et ceux qui ne sont pas informés.

Pour Clara, l’usage des néo-pronoms n’est pas un problème, et les utiliserait si on lui demande de le faire. Iel ne les utiliserait pas pour parler d’iel-même, majoritairement à cause de ses difficultés à s’affirmer en tant que “they/them” ou “iel” dans sa vie de tous les jours. Employer les néo-pronoms serait s’écarter dangereusement de sa zone de confort. 

La dernière personne que nous avons interrogée s’appelle Mara. Iel s’est récemment fait interviewer par RTL avec son ami.e Bellamy pour parler des identités non-binaires. Mara nous en dit plus sur comment iel préfère communiquer par rapport au genre, principalement en luxembourgeois. Par exemple, iel apprécie lorsque l’expression “déi Persoun” est utilisée, car de genre neutre, ou lorsque le pronom “si” est utilisé pour faire référence à “déi Persoun” de manière neutre également. Sinon, iel emprunte des expressions de l’anglais pour les adapter au luxembourgeois. Ainsi, “they/them” deviendrait “dey/dem”, tout comme les Allemands le font déjà. De plus, le “Gender Sternchen” mentionné plus haut peut aussi être utilisé en luxembourgeois, ce qui est intuitif compte tenu du fait que le luxembourgeois est aussi une langue germanique.

Mara nous fait également part du fait que peu de personnes au Luxembourg respectent leurs pronoms, et s’adressent toujours à iel en tant que femme. Iel espère au moins que les personnes dans les milieux féministes et queer utiliseront les bons pronoms sans avoir besoin d’être repris. La solution serait ici que chacun et chacune se présente en précisant ses pronoms, pour que les personnes trans et non-binaires ne se sentent pas abandonné.es ou comme des intrux.

Le langage inclusif est un travail en construction. Mais accepter ce changement peut faciliter la reconnaissance et le respect pour les personnes non-binaires dans le contexte plurilingue luxembourgeois. Et ça peut permettre à nos ami.es non-binaires de se sentir plus remarqué.es  et représenté.es.

 

(Traduction française par Félix Moliner Montmartin)