Faire face aux défis d’un coming out tardif
Dans le meilleur des cas, faire son coming out est une aventure complexe. Le faire plus tard dans la vie, quand on a déjà une carrière, des relations sociales de longue date, éventuellement un mariage et des enfants, peut sembler insurmontable.
« L’une des choses qui m’a longtemps retenue, c’était le sentiment que le coming out était réservé aux jeunes », explique Mia, qui a fait son coming out en juin 2023 à l’âge de 42 ans. « Je pensais être trop vieille pour changer quoi que ce soit dans ma vie. Je me disais souvent : ‘Le train est déjà parti’. Je ne voyais pas l’intérêt de risquer tout ce que j’avais construit au fil des ans. »
Annette partage ce sentiment. « J’avais 51 ans lorsque j’ai fait mon tout premier coming out en tant que femme. Même si j’aurais pu le faire bien avant, je craignais toujours les répercussions, notamment d’une déchéance sociale due aux réactions de ma famille, de mes ami·e·s et de mes collègues. Mais le risque ne pouvait pas m’empêcher de devenir la personne que je voulais être. En fin de compte, il était nécessaire de faire mon coming out. À l’époque, j’étais convaincue que c’était une question de vie ou de mort. J’étais prête à renoncer à tout le reste pour que mon rêve et mon destin se réalisent ! »
La communauté est essentielle
Dans ce contexte, le soutien communautaire devient essentiel. Le Centre LGBTIQ+ CIGALE propose un groupe dédié à celles et ceux qui sont confrontés aux défis uniques du coming out tardif : les Lilies. Se réunissant chaque troisième vendredi du mois, le groupe offre un espace sûr, solidaire et confidentiel où les personnes peuvent échanger de manière authentique et bienveillante.
Julie Mocquard, coordinatrice des groupes Lilies et Diversity, Inclusion & Community Empowerment au centre CIGALE, souligne le rôle du groupe dans le renforcement de la confiance et de l’acceptation : « Les Lilies se veulent un espace sûr d’exploration, où l’acceptation est essentielle, visant à favoriser des amitiés au-delà des réunions pour lutter contre la solitude et la dépression, et pour restaurer l’assurance de chaque individu. » Elle se dit honorée d’être la coordinatrice d’un groupe qui résonne avec ses valeurs humanistes, et ajoute que les Lilies resteront toujours un espace « où toute personne se sentant vulnérable peut acquérir la confiance nécessaire pour être pleinement elle-même et, à son tour, aider les autres à faire de même. »
Epanouissement et empouvoirement
Alors que le groupe s’apprête à fêter son premier anniversaire, les membres qui ont fait leur coming out depuis plus longtemps servent d’inspiration pour ceux qui en sont à des stades plus précoces. Stella Marzetta, qui a fait son coming out à 39 ans, embrasse son rôle dans l’empouvoirement des autres : « Ma mission résonne profondément en moi. Je suis déterminée à aider les gens à s’épanouir pleinement. Je m’engage à les guider dans leurs parcours de transformation, à cultiver leur courage et à favoriser leur chemin vers l’accomplissement personnel. En tant que coach de vie et d’entreprise, je plaide quotidiennement en faveur du courage. Permettre aux individus de surmonter leurs peurs, de réaliser leurs ambitions et de se forger une vie épanouie est véritablement ma vocation. »
Un sentiment partagé par Mia, pour qui les réunions des Lilies ont été un tremplin pour trouver sa voie. « Je ne dirais pas que le groupe Lilies m’a sauvé la vie au sens propre, mais lorsque je suis venue pour la première fois à une réunion, je venais juste de m’accepter et j’étais terrifiée par les conséquences de mon coming out. J’étais une boule d’angoisse. Quelques heures plus tard, dans le bus qui me ramenait chez moi, j’avais retrouvé l’espoir, j’avais compris que je n’étais pas seule et que les choses pouvaient s’arranger. » Elle explique : « Lorsque nous sommes ensemble, cela devient naturel. Lorsqu’on voit quelqu’un en difficulté franchir cette porte, on se revoit soi-même quelque temps auparavant, et l’envie de l’aider, de rendre son parcours plus facile, s’impose naturellement. Ce besoin d’aider est aussi une forme de soin de soi. En aidant les autres et en leur montrant que les choses peuvent s’améliorer, on s’aide également à réaliser le chemin parcouru. » Mia dit ressentir « une dette de gratitude envers la communauté » et espère l’honorer en aidant celles et ceux qui suivront ses traces.
Défis et pressions sociétales : Une question de temps
Les personnes qui font leur coming out tardivement se font souvent demander : pourquoi maintenant ? Tu ne t’en doutais pas ? Ce « coming out tardif » peut s’expliquer en partie par ce qu’on appelle la contrainte à l’hétérosexualité (hétérosexualité compulsive ou comp’het en anglais) : une immense pression sociale qui pousse à suivre un parcours hétéronormatif tout au long de la vie. La société a beaucoup changé ces 30 dernières années, donc heureusement, les jeunes personnes queer ne subiront probablement pas la même oppression due à l’hétéronormalité, mais pour les générations plus anciennes, le poids de cette pression reste un fardeau.
Mia décrit ce sentiment comme « une sorte de brouillard mental causé par la pression sociale et les attentes, ainsi que par notre propre queerphobie intériorisée, qui nous empêche de voir qui nous sommes réellement. Il est incroyablement difficile de se comprendre clairement quand les attentes de la société en matière de conformité et de “comportement normal” reposent sur le fait que l’on ne se comprenne pas soi-même. »
Il y a aussi le sentiment que l’on ne peut pas être prêt trop tôt. Pour Stella, « si cette révélation avait eu lieu des années plus tôt, les choses auraient été différentes. J’étais différente. Mon moi d’autrefois, entravé par la crainte du jugement social, était convaincu que la conformité était la seule voie vers l’acceptation. Dans un environnement marqué par la rigidité et l’homogénéité, toute déviation était découragée, pouvant entraîner l’isolement. Dans de telles circonstances, reconnaître et exprimer une vérité aussi profonde aurait été difficile, même pour moi ».
Même quand quelqu’un est prêt à surmonter la pression sociale, les obstacles demeurent. Annette dit avoir affronté « de nombreux défis, comme faire son coming out partout, trouver et suivre toutes les thérapies et traitements médicaux nécessaires, faire reconnaître légalement son nom et son genre, et enfin subir une opération de réassignation sexuelle. »
Pour Mia, « il ne fait aucun doute qu’il existe encore de nombreux obstacles, qu’ils soient sociétaux ou juridiques, qui peuvent rendre difficile pour les gens de trouver le courage d’être eux-mêmes. Et le manque de visibilité et de représentation est très préjudiciable. Nous avons besoin de nous identifier aux autres pour nous voir plus clairement. La montée de la queerphobie que nous observons dans certaines parties de l’Europe occidentale et des États-Unis rendra certainement ce processus plus difficile pour beaucoup de gens. Et dans ce contexte, des groupes comme les Lilies deviennent encore plus importants. Être avec des personnes partageant les mêmes idées, qui affrontent ou ont affronté des défis similaires, est enrichissant et motivant. »
« Depuis 2020, je me suis délibérément immergée dans des cercles sociaux diversifiés, accueillant des personnes ouvertes d’esprit aux modes de vie contrastés », ajoute Stella. « Le déménagement au Luxembourg, un environnement plus accueillant qu’en Italie, m’a encouragée à réfléchir à mes désirs. J’ai commencé à me demander si les notions conventionnelles de bonheur me correspondaient vraiment ou s’il existait d’autres voies, inspirée par les multiples expériences des personnes autour de moi. »
« Mon conseil aux autres est simple : cherchez du soutien auprès de personnes partageant les mêmes idées et cultivez votre courage par des actes de défi progressifs. Exercez-vous jour après jour, petit à petit, à sortir de votre zone de confort. Progressivement, la peur du jugement extérieur diminue, ouvrant ainsi la voie à une vie en accord avec vos aspirations. »
La gentillesse de ceux qui vous entourent
Malgré toutes les craintes et les doutes, les membres des Lilies se rendent compte que les personnes auxquelles ils se sont confiés sont généralement beaucoup plus acceptantes et soutenantes qu’ils ne l’auraient cru au départ.
« Ce qui m’a le plus surprise, c’est la gentillesse de la plupart des gens à mon égard », déclare Mia, qui a fait son coming out auprès de sa famille et de ses ami·e·s les plus proches. « Je sais que ce n’est pas le cas pour tout le monde, mais je n’ai reçu que du soutien et de l’acceptation. Même les personnes qui m’ont connue depuis ma naissance sous un autre nom et avec un autre genre m’ont pleinement acceptée. Le risque et la peur sont là pour une raison et ils sont légitimes, mais souvent, les gens se révèlent bien plus gentils que ce que l’on attendait d’eux. »
Pour Stella, « faire son coming out une fois que les sentiments réciproques ont été confirmés m’a semblé naturel, presque inévitable. J’ai la chance d’être entourée de personnes qui m’aiment pour ce que je suis. J’ai reçu un soutien sans faille. Paradoxalement, mon passage au végétarisme deux ans auparavant a suscité plus d’étonnement. »
Annette conclut avec enthousiasme. « Aujourd’hui, quand j’y repense, je dois dire que tout cela en valait la peine. Je n’ai jamais été aussi heureuse de ma vie ! Je m’appelle Annette et je suis enfin une femme ! Chaque jour, quand je me réveille, je me dis : “C’est moi et je vis en tant que telle !” »
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