Je suis un homme gay et je fais un rêve : celui d’un jour créer ma propre secte. “Mais qu’est-ce que tu racontes comme bordel ?!” est la réponse que j’obtiens habituellement de la part d’auditeurs curieux. S’il n’y a aucun endroit sur Terre pour m’accueillir, si aucune communauté ne veut m’accepter, alors je vais créer la mienne !

Franchement, mon histoire est un peu clichée : l’histoire d’un petit gars gay qui rêve d’un jour trouver l’amour, d’un jour rencontrer un autre homme gay sans avoir à se cacher, d’un jour trouver refuge dans cette communauté queer. Et c’est comme ça, qu’avec toutes les étoiles alignées de mon côté, j’ai déménagé au Luxembourg, quittant le pays qui m’a vu naître et où j’ai été élevé mais que je n’ai jamais pu vraiment appeler “mon” pays.

Le monde était mien ! Je pouvais enfin avoir mon premier petit copain, ma première expérience de l’amour, je pouvais enfin expérimenter des choses dont je n’avais jamais osé rêver… Et bien, j’ai eu ma première expérience d’une chose à laquelle je n’avais jamais pensé auparavant : le racisme.

Mais avant de nous pencher sur le racisme, je dois admettre qu’il faut que j’apprenne à tenir compte des intentions des gens avant de les juger. Souvent, ils sont juste curieux lorsqu’ils vous demandent vos origines, je sais que je le suis souvent moi-même. Ou alors, c’est parfois une manière d’entamer la conversation. Venant de cultures, d’éducations et de générations différentes, on peut toujours s’apprendre des choses. Mais ma critique s’adresse à celles et ceux qui refusent d’écouter, qui refusent de voir.

“Salut beau gosse, d’où tu viens ?

– Du Luxembourg, ai-je répondu.

– Non, je voulais dire, d’où est-ce que tu viens à la base ?

– D’Inde” ai-je dit, pensant que l’homme était simplement curieux.

Que s’est-il passé ensuite ? Il m’a bloqué. J’ai été ignoré par beaucoup, comme lui l’a fait. “Pas de riz, pas de curry, pas d’âme.” “J’ai bloqué plus d’Asiatiques que la grande muraille de Chine.” “Pas attiré par les Noirs, les Chinois ou les Indiens.” ont-ils déclaré fièrement. Bon, peut-être que les applications de rencontres en ligne n’étaient pas la meilleure des idées, alors dirigeons-nous vers de vraies fêtes gays… “Bonjour, Moien, Hallo” et un sourire pour tous mes amis blancs (qui se rencontraient tous pour la première fois), mais moi, je n’ai eu droit qu’à une poignée de main formelle. La même chose de la part d’un autre homme, qui lui ne me fit même pas l’honneur d’une poignée de main… Qui a besoin d’une cape d’invisibilité lorsque vous avez de la mélanine ? Qu’en est-il des Marches des Fiertés qui célèbrent “l’inclusion”, “l’égalité” et la “visibilité” ? Décidément, ils ne déçoivent jamais… de décevoir, justement. Peut-être que je peux essayer certaines associations LGBTQ+ ! Une figure publique dans une association LGBTQ+ ne devrait-elle pas se comporter différemment ? Ne devraient-ils pas être plus abordables ? Et bien, globalement, ils le sont ! Mais ça me sidère de voir le nombre considérable de membres qui ne le sont pas. Au sein même de leur propre bande, ils ne sont accessibles qu’aux personnes avec un certain physique. Lors des dernières élections, j’ai trouvé ironique qu’un de mes amis me montre des posters du CSV (un parti conservateur), en remarquant à quel point leur diversité ethnique était faible. Je n’ai pu m’empêcher de penser : “C’est toujours plus diversifié que l’association LGBTQ+ locale !”.

Tout ce que j’avais expérimenté pour le moment dans mon nouveau pays, c’était le respect et l’accueil chaleureux de la part de mes amis et collègues hétéros. Au travail, à la salle de sport, les gens de tous horizons initient la conversation avec moi en me traitant comme leur égal. Mais hey, il y a un temps pour tout… même dans les endroits que l’on suspecte le moins.

Encore une fois, personne n’est plus aveugle que celui ou celle qui refuse de voir. Je comprends que certaines personnes aient des “Exigences Préférences Raciales” pour les rencontres ou pour le sexe, même si on met de côté la généralisation faite par des millions de personnes qui se basent sur la race des autres, et les jugent indésirables. Mais n’être ami qu’avec les personnes qui nous attirent sexuellement, et ne respecter que ceux qui nous attirent sexuellement, c’est une chose que je n’ai jamais vue ou entendue hors de la communauté homosexuelle masculine. En somme, si sélectionner ses amis en fonction de leur appartenance ethnique n’est pas la définition même du mot “discrimination”, je ne sais pas ce que c’est. Il m’est même arrivé de ne pas entièrement comprendre pourquoi des hommes gays, qui ont vécu le même type d’ostracisation, peuvent être aussi intolérants. Mais grâce à mon épiphanie sur le besoin humain de rabaisser les autres et de les exclure pour se sentir supérieur, tout fait maintenant sens.

Lors de mes tentatives de comprendre davantage leur façon de penser, je me suis rendu compte que l’attirance est en effet culturelle. Les gens ne veulent pas rencarder des personnes, les gens veulent rencarder des fantasmes. Qui ne voudrait pas d’un petit copain italien, d’un surfeur australien, d’un Viking ou d’un cow-boy américain ? Je ne mentionnerai pas les fantasmes associés aux POCs*. Vraiment, analysez ce qui vous vient à l’esprit lorsque vous pensez à une personne d’une ethnie particulière, et vous verrez de quoi je parle. Si vous aviez le choix, que choisiriez-vous entre quelqu’un avec qui vous établissez une connexion et qui vous fait rire OU  quelqu’un de super sexy, mais avec qui vous n’avez aucune connexion, mais avec qui vous pouvez parader devant vos amis et sur les réseaux sociaux ? Soyez honnêtes, avec qui voudriez-vous matcher sur Tinder ? C’est hypocrite de ma part de généraliser, mais je vous mets au défi de me trouver une communauté humaine plus superficielle que les hommes gays !

J’ai réalisé qu’en étant une personne de couleur, je dois fournir deux fois plus d’efforts pour arriver au même point que les autres. Je ne pourrais jamais rivaliser avec le privilège blanc. Peu importe le temps passé à la salle, à faire des régimes, à bien m’habiller, à faire du développement personnel, à souffrir de troubles du comportement alimentaire, à prendre des stéroïdes, à faire de la chirurgie esthétique, rien ne peut rivaliser avec le privilège blanc. Le mieux que je puisse espérer, c’est d’être le fétiche de quelqu’un : un gourou de yoga qui révélera tous les secrets de la vie après une session haletante de sexe tantrique ! C’est si ridicule que parfois, je glousse en me souvenant qu’un gars m’a dit “Namaste” après m’avoir fait l’amour !

Tandis que j’essayais d’explorer le sujet plus en profondeur, désespéré de trouver l’amour de ma vie, j’en ai parlé à mes amis expérimentés, dont certains étaient blancs et Européens. “Les réseaux sociaux ont tout gâché” m’a affirmé l’un d’eux, “c’était pas comme ça avant”. Ça m’a rendu curieux, et la curiosité est un vilain défaut. Alors j’ai commencé à simplement regarder les photos, les relations, les amis et les abonnés de certains gars. Le KKK serait fier d’eux ! Je n’ai pas trouvé une seule personne de couleur parmi les centaines ou milliers de personnes que j’ai regardées, et ça au Luxembourg ! L’un des pays les plus divers du monde depuis des décennies ! Coïncidence ? Je ne pense pas.

Même si je ne trouve pas l’amour, j’ai pensé que je pourrais au moins me faire des amis gays en dehors de mon cercle social. Comment je suis supposé faire ça ? À l’aide d’applications ? À l’aide de rencontres ? Comme me l’a appris mon expérience : seulement à travers le sexe. Désormais, j’apprécie le sexe et l’exploration. Mais dire que je ne regrette pas d’avoir fait des choses qui m’ont toujours rendu mal à l’aise dans le seul but d’avoir de la compagnie pour la nuit serait un mensonge. Je pensais que c’était ça, être ouvert d’esprit. Car depuis, j’ai réalisé qu’être ouvert d’esprit selon cette communauté signifie recevoir deux queues en gorge profonde, un poing et une jambe dans le cul, se faire pisser dans l’oreille, se faire chier sur le nez, etc. Je ne veux pas couvrir de honte celles et ceux qui aiment ce genre de choses, j’ai moi-même fait des choses sacrément dingues. Mais d’après mon expérience, les hétéros ouverts d’esprits sont plus acceptants. L’ouverture d’esprit selon les gays, c’est être plus acceptant par rapport aux pratiques sexuelles, mais pas par rapport aux gens. Ils te jugent en un seul coup d’œil, et si tu ne leur plais pas sexuellement, tu n’es pas une personne à leurs yeux. Ils vous traitent moins bien que leurs sex-toys.

Je ne cherche plus l’amour. Un cœur brisé peut être réparé, mais l’espoir n’est plus recouvrable une fois perdu. Si je veux être multimillionnaire, je peux trouver comment faire. Si je veux aller dans l’espace, je peux trouver comment faire. Si je veux devenir président, je peux trouver comment faire. Encore plus fou même, si je veux mon propre appartement au Luxembourg, je peux trouver comment faire. Mais si moi, un homme gay à la peau foncée, veut trouver l’amour au sein de cette communauté, je n’arrive pas à trouver comment faire. Peu importe à quel point ma perspective de la vie est positive ou négative, ça ne change pas la réalité. Ou tout du moins, la réalité pour moi et beaucoup d’autres comme moi.

Comme je l’ai dit plus haut, mon histoire est clichée et sera oubliée, ignorée et écartée comme toutes les autres. À tous ceux qui me liront, j’aimerais juste vous dire : ne laissez jamais aucune pédale INSATIABLE vous dire que vous n’êtes pas assez bien ! Vous êtes un être humain, pas un dildo. Soyons honnêtes, certains d’entre nous ne trouveront jamais de partenaire, mais tu sais quoi mon cœur ? La vie continue… La vie ne se résume pas à trouver une relation amoureuse. Et souvenez-vous, ce que vous voyez ne reflète pas toujours la réalité. Le divorce, l’infidélité, la manipulation, le narcissisme, les violences domestiques; tout ça existe, oui. J’aurais aimé avoir réalisé plus tôt que si j’ai vécu jusqu’ici c’est grâce à mes amis incroyables et à moi-même, et que je continuerai ainsi. Finir seul n’est pas le problème, c’est la peur de finir seul qui est le véritable problème. Ce n’est que cette bonne vieille anxiété débile qui est le problème.

Jetez un œil à Miss Samantha Jones de Sex and the City. En regardant la série, j’ai été impressionné par ses aventures sexuelles incorrigibles. Mais désormais, riche de mon expérience de “No Sex And the City”, je l’admire davantage pour son indépendance émotionnelle. Elle nous montre que même sans relation amoureuse, on peut quand même être fantastique !

C’est ce que j’aimerais prêcher un jour au sein de ma secte, voyez-vous ! Ne voudriez-vous pas plutôt rejoindre une secte où vous seriez célébré.e, plutôt qu’une communauté où vous seriez juste toléré.e et largement rejeté.e sur la seule base de votre ethnie et de votre apparence ?

J’aimerais remercier toutes les femmes, lesbiennes, drag queens et personnes trans au sein de cette communauté, ainsi que les quelques hommes qui ont été mes alliés sans équivoque. Tous les droits que nous avons aujourd’hui, nous les devons aux personnes trans, plus particulièrement aux femmes trans de couleur, tandis que les hommes gays blancs ont contribué le moins possible tout en profitant le plus. Dans cet article, je n’ai même pas effleuré les sujets de la transphobie flagrante, le sexisme, la féminophobie, l’âgisme, la discrimination en fonction de la taille, etc. si communs au sein de la communauté homosexuelle masculine. Pour conclure, j’aimerais suggérer un ajout de quelques lettres au sigle LGBT : LGBTKKK, pour le groupe de suprémacistes blancs qu’il est en réalité.

*People of Color : Personnes de Couleur

Illustration: Charlotte Muniken

Article traduit de l’Anglais par Félix Moliner Montmartin