J’ai toujours chéri la littérature queer pour l’impact profond qu’elle a eu sur ma vie. Cependant, au fil des années, j’ai pris de plus en plus de goût aux représentations plus nuancées de la queerness, des histoires où les éléments queers se fondent dans “l’ennui” de la vie quotidienne, passant ainsi presque inaperçus. Michael Cunningham est un de ces auteurs qui apportent une narration aussi nuancée.

Dans son ouvrage Day (Un jour d’avril en français), Michael Cunningham dépeint une exploration touchante et lyrique du temps, de la perte, et de la désolation silencieuse amenée par la pandémie de COVID-19. Son premier roman après presque une décennie, Day est paru à un moment où le monde était encore au prises des répercussions d’un événement global qui a redéfini notre existence collective. À travers la prose élégante de Cunningham et des études de personnage complexes, le roman se révèle être non seulement l’histoire d’une famille en crise, mais aussi une réflexion plus générale sur la fragilité et la résilience de l’esprit humain.

Structuré avec la précision d’une pièce de théâtre, Day se déroule en trois années consécutives (2019, 2020 et 2021), chaque segment retraçant les différentes phases de l’impact qu’a eu la pandémie. Divisé en trois actes qui correspondent aux différents moments de la journée (matin, midi et soir), le roman reflète la progression de la pandémie. Ce cadrage permet à Cunningham d’explorer l’évolution des personnages, de leurs vies et de leurs émotions alors qu’ils traversent un monde qui change. La division soigneuse de la journée n’offre pas seulement une structure rythmique à la narration, mais permet également d’approfondir l’écho thématique du roman, en mettant l’accent sur le passage du temps et l’exploration du changement et de l’identité. Ce qui me rappelle un enseignement fondamental du bouddhisme : tout change. Une vérité fondamentale de toute existence.

Au cœur de l’histoire de Day se trouve une famille vivant à Brooklyn, luttant contre des bouleversements personnels et collectifs. Isabel, une éditrice photo au succès révolu faisant face à l’obsolescence de sa carrière, et son mari Dan, une ancienne rock star confronté avec le déclin de ses ambitions musicales, sont emblématiques d’une génération coincée entre la nostalgie des exploits du passé et la désillusion des réalités actuelles. Leurs deux enfants, Nathan et Violet, sont décrits avec un mélange de tendresse et d’authenticité, incarnant la confusion et la résilience des jeunes dans un monde incertain. Nathan, aux balbutiements de l’adolescence, et Violet, évoluant dans la petite enfance, reflètent l’impact plus général de la pandémie sur les jeunes générations, dont les années formatrices ont été marquées par l’isolement et le changement.

C’est pour autant Robbie, le petit frère d’Isabel, qui se révèle être le personnage le plus captivant du roman. Robbie, un homme gay dans la trentaine fraîchement célibataire, a renoncé à une carrière prometteuse dans le domaine médical pour devenir enseignant, convaincu qu’il s’agissait une vocation plus significative. Désormais, il se retrouve à remettre en question la pertinence de ses choix. Ses difficultés professionnelles et personnelles sont rendues d’autant plus complexes par son rôle d’oncle affectueux mais désoeuvré pour Nathan et Violet. La création de “Wolfe”, personnage de Robbie sur Instagram, est une métaphore de son conflit interne. Wolfe, une figure imaginaire issue d’une fantaisie d’enfant, incarne la version idéalisée de la vie dont Robbie et sa sœur Isabel ont un jour rêvé : une vie pleine de succès, de confiance et de satisfaction, en contraste total avec la vie actuelle de Robbie.

Le récit de Cunningham est fondamentalement tourné vers l’introspection, centré sur la vie intérieure de ses personnages plutôt que le chaos extérieur de la pandémie. Cette emphase sur l’intériorité permet au roman Day de résonner de manière universelle, et de capturer les nuances des émotions et des expériences humaines. Le lecteur est invité à s’identifier à différents personnages, qui ont chacun presque assez d’espace dans le récit pour devenir le personnage principal. Le roman explore le désespoir, la nostalgie et l’espoir avec sensibilité et profondeur, nous invitant à une réflexion sur nos propres expériences de la perte et de la transformation. Vous êtes transporté dans l’intimité des personnages, découvrant leurs défis mais surtout, leurs expressions d’affection au quotidien, qu’elles soient romantiques, familiales ou platoniques. Que ce soit l’amour entre une mère et son enfant, entre frère et sœur, ou entre de vieux amis, la prose de Cunningham défie les étiquettes simples et révèle les nuances subtiles de ces affections, ce qui fait que n’importe qui peut s’y identifier.

Bien que Day fasse écho à des thèmes évoqués dans de précédentes œuvres de Cunningham, notamment son roman The Hours (Les heures en français) qui a remporté le prix Pulitzer et a plus tard été adapté dans un film primé aux Oscars, son roman se distingue avec une attention unique sur les moments spécifiques de la pandémie. Son portrait de la crise sanitaire de la COVID-19 en tant qu’événement agitateur plutôt que le point central de l’attention permet une analyse plus nuancée de ses effets sur les personnages. En installant son récit entre la période de normalité prépandémique et l’incertitude post-pandémie, Cunningham met en avant à quel point l’ère de la COVID-19 a altéré nos perceptions du temps et de l’identité. Le trajet des personnages à travers différentes étapes de leurs vies reflète des changements sociétaux plus généraux, mettant l’accent sur la manière profonde mais néanmoins souvent ignorée dont le temps modèle notre compréhension de nous-mêmes et du monde. La capacité de Cunningham à saisir les complexités du traumatisme personnel et collectif tout en sous-entendant le potentiel de la transformation et du renouveau fait de Day une œuvre percutante et faite pour durer.

Ce que j’apprécie le plus, c’est que Day n’est pas seulement un roman sur la pandémie. C’est une exploration intemporelle de comment faire face à des forces hors de notre contrôle, et de faire la paix avec les changements qu’elles amènent. À travers ses personnages riches et sa narration contemplative, le roman offre une réflexion poignante sur la condition humaine. Que ce soient les pensées d’un personnage, les dialogues, leurs interactions ou l’environnement qu’ils habitent (comme les escaliers d’Isabel, par exemple), tout s’intègre dans le dépliement intentionnel de l’intrigue.

Il est compliqué d’en dire plus sans en dire trop (évitons les spoilers aujourd’hui), et  j’essaierai donc de résumer l’essence du roman. Day est une méditation sur la nature de l’existence, et sur la manière dont nous cherchons du sens face à des changements profonds. Il nous amène à réfléchir à notre réponse à la souffrance et à considérer la possibilité de croissance personnelle et de la rédemption. À travers son roman Day, Michael Cunningham nous démontre une fois de plus sa maîtrise de la langue et sa compréhension approfondie de l’expérience humaine, créant un roman qui continuera de vous marquer bien après l’avoir fermé. J’espère que cette recension aura éveillé votre curiosité, assez pour vous encourager à le lire, car je pense sincèrement qu’il mérite votre attention.
Day (en français, Un jour d’avril), un roman de Michael Cunningham, publié pour la première fois le 14 novembre 2023 aux éditions Random House.

Photo: Michal Huštaty

Article traduit de l’Anglais par Félix Moliner Montmartin