Non, il ne s’agit pas d’un documentaire animalier mais bel et bien de vous parler de la communauté Bear, ou Ours en Français. Laissez moi vous présenter cette sous-culture LGBTIQ+, riche en histoire, en code et en représentations, y compris dans notre petit Luxembourg.
Les origines de la communauté
On retrouve les premières traces d’une communauté Bear vers les années 1970 et 1980 à San Francisco et ses environs. Émergeant en réaction aux stéréotypes dominants de l’homosexualité masculine urbaine de l’époque (des hommes aux corps entretenus et à la pilosité taillée, parfois vus comme efféminés), les Bears ont proposé une version plus brute et naturelle de l’homosexualité et de la masculinité gay, célébrant la pilosité corporelle, les silhouettes plus enrobées et une attitude décontractée.
À l’origine, le terme Bear désignait tous les hommes gays poilus, indépendamment de leur morphologie, avant de s’orienter vers les hommes plus corpulents. Il existait d’ailleurs une proximité assez évidente entre la communauté Bear et la communauté Leather (cuir). La communauté Bear a commencé à s’organiser autour d’événements appelés Bear Hug Parties, permettant aux Bears de se rencontrer. Des clubs Bears, notamment des clubs de loisirs et de motards, sont également devenus des lieux de rassemblement importants.
Un moment clé dans l’histoire de la communauté Bear fut la publication en 1983 de la première « Bear Issue » du magazine « Drummer » (LE magazine cuir lancé à Los Angeles en 1975 et qui a été publié jusqu’en 1999) qui mettait en vedette des modèles masculins poilus et enrobés, donnant naissance à l’expression « Bear culture ». En 1987, le premier rassemblement « officiel » de la communauté Bear a eu lieu à Yosemite, en Californie, réunissant environ 200 participants.
Le drapeau de la communauté Bear
Composé de sept bandes horizontales de couleurs allant du marron foncé au noir, il représente la diversité des teintes de peau et de pilosité humaines, symbolisant l’inclusivité au sein de la communauté. Une patte d’ours noire stylisée dans le coin supérieur gauche complète le design, faisant référence au drapeau de la communauté cuir.
Internet, vecteur de diffusion culturelle
Évidemment, Internet a tout accéléré dans le développement et l’expansion de la communauté Bear. Il a permis la formation de petites communautés en ligne, augmentant ainsi la visibilité et la reconnaissance des Bears.
Les sites dédiés à leur culture et à leurs rencontres se sont multipliés, facilitant les connexions entre membres de la communauté. Au fil du temps, la communauté Bear s’est diversifiée, donnant naissance à diverses sous-catégories comme les cubs (plus jeunes et moins massifs), les « muscle Bears« , les « polar Bears« , et les « leather Bears« , et bien d’autres encore ; chacune avec ses propres caractéristiques et intérêts. Cette diversification a contribué à l’enrichissement et à l’expansion de la culture Bear, tout en maintenant ses valeurs fondamentales de masculinité naturelle et d’acceptation de soi.
Parler aujourd’hui de « masculinité naturelle » peut poser problème. Mais dans les années 80 et 90, c’était un moyen d’être plus inclusif, alors que la représentation grand public de l’homme homosexuel était quasi exclusivement un corps fin, des manières, une attention certaine pour un look soigné, puis plus tard un corps musclé et très entretenu.
Mais c’est quoi un Bear ?
Un Bear est un homme homo, bi ou trans qui se caractérise principalement par sa pilosité corporelle abondante et souvent par une corpulence plus importante que la moyenne. Cette identité s’inscrit à l’origine dans une sous-culture de la communauté gay qui valorise une expression de la masculinité à l’état brut. Les caractéristiques physiques typiques d’un Bear, à l’origine, incluent :
- Une pilosité faciale et corporelle fournie, souvent avec une barbe bien visible
- Une corpulence généralement plus forte, allant de légèrement enrobé à obèse, en passant par des mecs musclés (muscle Bear) bien que ce ne soit pas toujours le cas
- Une apparence globalement virile et masculine
Ces dernières années, de nombreuses communautés Bears ont vu leur population évoluer drastiquement. L’arrivée de personnes à la corpulence plus mince, appelées loutres ou chasseurs en fonction de s’ils s’identifient eux-mêmes comme Ours ou juste s’ils sont attirés par ces derniers, et plus récemment des personnes avec une expression de genre plus fluide.
Au-delà de l’apparence physique, les Bears sont souvent décrits comme ayant une attitude décontractée et une personnalité chaleureuse. Ils sont réputés pour être gentils, sensibles et affectueux.
Ours, Chub, Cub, Chasseur, Loutre … wtf ?!
Dans la communauté Ours, il n’est pas rare de voir des membres se décrire au moyen de termes particuliers. D’abord pour désigner le type de Bears, le langage a progressivement évolué pour inclure d’autres membres de la communauté.
- Muscle Bear : un Ours musclé et en forme.
- Polar Bear : un Ours plus âgé avec des cheveux et une barbe gris ou blancs.
- Chub : un Ours particulièrement corpulent. On parle aussi parfois de super-chub.
- Cub : un jeune Ours.
- Loutre (Otter) : un homme mince mais poilu, considéré par certains comme faisant partie de la communauté Bear, mais qui s’identifie en tout cas à cette dernière.
- Chasseur (Chaser): un homme qui est attiré par les Ours, sans pour autant en être un lui-même.
D’autres termes ont pu exister par le passé, mais ne sont plus utilisés de nos jours, comme le terme de panda Bear qui désignait des Ours asiatiques, pour des raisons assez évidentes.
Il est important de noter que ces catégories ne sont pas rigides et que de nombreux hommes peuvent s’identifier comme Bears sans nécessairement correspondre à tous les critères. L’identité Bear, c’est avant tout une célébration de la diversité des corps masculins et une remise en question des standards de beauté gay dominants.
Communautés et rassemblements
Les Ours sont très sociaux et se regroupent volontiers en communautés autour de divers événements. On observe très souvent, lorsqu’une communauté géographique devient assez grande, l’organisation d’une élection de Mister Bear. Suivant les communautés, le titre a plus ou moins de sens, allant du concours de beauté/popularité à des élections où les candidats doivent avoir tout un programme détaillé sur les actions qu’ils veulent mener au cours de leur année, comme c’est le cas en Belgique. Lorsque la communauté est très développée ou que le territoire est grand, on peut aussi voir, comme en France, des titres régionaux (ex: Mr Bear Toulouse). Après, ce n’est pas Miss France, les tenants d’un titre régional ne concourent pas au titre national.
La seule exception à cela serait Mr. Bear Europe, dont l’organisation est assurée par le pays dont le tenant du titre est le représentant (oui, comme à l’Eurovision), où, pour concourir, il faut être le Mr. Bear actuel de son pays/sa région et être mandaté par l’association qui organise l’élection.
En dehors de ces événements « nationaux » (ou régionaux donc), il existe également des « grandes messes », événements quasi incontournables dont la participation est presque fondatrice dans l’identité Ours de certains. On notera TBRU (Texas Bear Round-Up, environ mi-avril) aux USA, Mad Bear à Madrid (en décembre), sa déclinaison Mad Bear Beach (à Torremolinos début août), Sitges Bear Week (toujours en Espagne, mais du côté de Barcelone, en général sur le premier weekend de septembre) pour n’en citer que quelques-uns.
La communauté ours au Luxembourg
Les Ours de Luxembourg, comme tout le monde dans le pays, voyagent beaucoup et il n’est pas rare de les croiser dans des événements Bear à Bruxelles, Paris, Cologne, Amsterdam, un peu partout en Espagne et ailleurs. Concernant la représentation locale, le Luxembourg dispose d’une élection de Mr. Bear depuis 2016, d’une association Bear depuis 2017 et d’une Bear Pride depuis 2018 qui s’organise en octobre, entre les dates d’événements voisins de plus grande envergure.
La Bear Pride 2024 au Luxembourg
Cette année, elle a lieu du 9 au 13 octobre, avec une programmation étendue :
- 9 octobre à partir de 19h : Vernissage de l’exposition A hug is always the right size qui accueille les artistes photographes Joseph Wolfgang Ohlert, Julien van Aken et Pit Reding📍Rainbow Center
- 10 octobre à partir de 19h : Soirée cinéma avec projection du film Cachorro réalisé par Miguel Albaladejo📍Rainbow Center
- 11 octobre à partir de 19h : Meet & Greet. Venez rencontrer les candidats à l’élection de Mr. Bear Luxembourg 2025 📍LetzBoys
- 12 octobre à partir de 23h : Wolf men-only party, édition spéciale élection. L’élection de Mr. Bear Luxembourg 2025 se fera aux alentours de minuit. Le public aura l’occasion de participer au vote aux côtés d’un jury. 📍The Ground (Hollerich)
- 13 octobre à partir de 11h : Brunch avant de repartir (ou d’aller au sauna) 📍Paname
Vous pouvez trouver le programme détaillé, les tickets, et découvrir les candidats sur notre site bears.lu/pride. Si vous souhaitez participer à l’élection, il est encore temps ! Rendez-vous sur f.bear.lu/mister, il suffit d’être un homme de plus de 18 ans (les hommes trans sont bien évidemment les bienvenus) et résider, étudier ou travailler au Grand-Duché de Luxembourg.
L’histoire de la communauté Ours au Luxembourg
C’est le moment de votre lecture qui va devenir un peu plus personnel pour moi, puisque j’ai pu assister au premier plan.
Tout a commencé en 2015 avec l’organisation, lors de la Luxembourg Pride (encore appelée Gaymat à l’époque), d’une « Bear Attack » par Rosa Lëtzebuerg, en amont de la parade. C’est ainsi que nous avons vu notre premier Mister Bear Luxembourg, José Sanchez, être élu. À la suite de cela, José et moi-même avons organisé un premier rassemblement pour le Noël des ours. Nous attendions une vingtaine de participants, et nous en avons eu plus d’une centaine. On s’est dit qu’il y avait quelque chose à organiser. C’est ainsi qu’est née la première soirée Woof.
En 2016, une seconde édition a eu lieu, avec l’élection de votre dévoué serviteur. Lors de « mon année », j’ai voulu commencer à organiser plusieurs événements en dehors de la période de la Pride pour la communauté ours, en utilisant notre concept de soirée Woof. En participant pour la seconde année (d’abord en tant que première dame, puis en tant que Mister élu) à d’autres Bear Prides, je me suis dit que nous pourrions organiser cela chez nous aussi.
C’est ainsi qu’en 2017, nous avons fondé l’association sans but lucratif Bear Dukes Luxembourg, qui est en charge de l’organisation de la Bear Pride et de l’élection de Mr. Bear Luxembourg. L’idée était que, contrairement aux soirées, cela puisse être un jour détaché de nous qui avons lancé cela et continuer à vivre, par et pour la communauté, en évitant que quelqu’un puisse se l’approprier.
Depuis, nous développons les relations avec les autres organisations Bears en Europe ainsi qu’avec les associations et institutions au Grand-Duché de Luxembourg et alentours (Rosa Lëtzebuerg, Croix-Rouge Luxembourgeoise, Centre LGBTIQ+ Cigale, Rainbow Center, Maison Arc-en-Ciel au Luxembourg belge, Couleurs Gaies en France, etc.). Nous soutenons les commerces LGBTIQ+ en réalisant des événements conjoints (Red Sauna, XL Sauna, Zenhit Sauna, Barnum, Bar Rouge, Let’z Boys) et nous continuons à organiser des soirées sous différentes marques : Woof, Banana, WR (We Are Family).
Aussi fou que cela puisse paraître, tous nos événements sont organisés de manière bénévole. Nous ne percevons aucun financement de la part d’institutions publiques. Les événements les plus plébiscités permettent de financer ceux de niche qui ne pourraient exister autrement.