Dans ce court article, je raconte les expériences que j’ai vécues ces dernières années, depuis que j’ai découvert que j’étais non-binaire. Je souhaite donner à mes lecteur·ices un aperçu de mon monde intérieur en tant que personne non-binaire et leur permettre de mieux comprendre ce que cela signifie d’être trans et non-binaire.

Sortir du placard ?

Je me souviens très bien d’un homme qui me demandait si j’étais un homme ou une femme alors que je parcourais le rayon femme d’un magasin de charité à Peckham. Il a fini par m’envoyer au rayon des vêtements pour hommes, puis m’a demandé de sortir avec lui. Déconcerté·e et effrayé·e par l’intrusion et le comportement hostile de l’homme, je me suis demandé·e  ce qui l’avait poussé à agir de la sorte. Je n’avais jamais vécu une telle expérience. Et pourtant, j’étais là, maquillé·e, habillé·e en rose pastel et vert menthe, et on s’interrogeait sur mon identité de genre ? Tout ce que j’avais changé, c’était la longueur de mes cheveux.

J’ai fait mon coming out en tant que personne non-binaire au cours de l’été 2020. Je ne parlerais peut-être même pas de « coming out », car il s’agissait plutôt d’un « coming to ». Mon processus de transition a commencé de manière plutôt fortuite. À l’époque, en pleine pandémie du Covid-19, j’étudiais la politique féministe queer transnationale à la SOAS (School of Oriental and African Studies) de Londres. Je vivais dans un appartement délabré dans le sud-est de la capitale anglaise. Alors que je me préparais pour un voyage à vélo de Londres au Luxembourg et du Luxembourg à l’Irlande, je suis allé·e chez le coiffeur de mes voisins et me suis fait une coupe courte. C’était la première fois de ma vie que je me faisais faire une coupe de cheveux masculine. Ce qui n’était à l’époque qu’un choix pratique en vue de mon voyage a pris une tournure inattendue : J’ai remarqué que les gens réagissaient différemment à ma présence. Je faisais moins souvent l’objet de harcèlements de rue. D’une manière générale, on me regardait moins et je me sentais moins soumis·e au regard masculin. Cela m’a donné un nouveau sentiment de liberté dans les espaces publics. En même temps, même si mon apparence n’avait pas beaucoup changé, cela me rendait vulnérable à la transphobie en public, comme l’illustre mon expérience à Peckham.

Sur le plan intérieur, beaucoup de choses avaient changé au cours des mois précédents. L’étude de la théorie du genre à l’université n’a pas été un simple exercice théorique, elle a également donné lieu à une profonde introspection. J’ai réalisé que le genre qui m’avait été assigné à la naissance, le féminin, ne m’avait jamais convenu. Cela signifiait-il que j’étais trans ? Le discours normatif sur la transidentité impliquait une binarité que je ne souhaitais pas. Si je ne suis pas une femme, alors cela signifie-t-il nécessairement que je suis un homme ? Ou puis-je être quelque chose de tout à fait différent ?

Définir la non-binarité

La non-binarité c’est le refus de se classer dans les catégories binaires de l’homme ou de la femme. C’est être à la fois l’un et l’autre, ou aucun. C’est quelque chose de tout à fait différent. Dans la communauté non-binaire, il existe une grande variété d’identités et d’expressions de genre. Pour moi, c’était aussi la conséquence d’une compréhension plus profonde de la théorie du genre. Selon Judith Butler, théoricienne du genre, le genre est une catégorie socialement construite, basée sur une notion naturalisée du sexe qui, à son tour, est d’emblé genré. En d’autres termes, nous grandissons dans une société où le genre est quelque chose de fixe et de statique. On nous enseigne que le genre est biologique et que les normes de genre que nous tenons pour acquises aujourd’hui ont toujours été ainsi.  Or, le fait est que le genre est et a toujours été fluide, et que les normes de genre ont toujours été diverses, tant dans le temps que dans les contextes culturels. Cela amène Butler à conclure qu’il y a un sens de la performance dans l’expression du genre de chacun. Dans cette optique, le genre n’est pas quelque chose qui nous arrive, mais quelque chose que nous produisons. Nous pratiquons le genre quotidiennement, à tel point que nous ne nous rendons même pas compte que nous le pratiquons selon un ensemble spécifique de règles de genre. Cela m’a amené à me poser des questions : Si le genre est si arbitraire et que les catégories binaires de genre sont socialement et discursivement construites, alors pourquoi devrais-je me conformer à ces normes ?

Transition

Depuis lors, j’utilise le pronom « iel ». Pour beaucoup de personnes de mon entourage, il s’agissait du principal marqueur de ma transition. Le changement de pronom n’était cependant que l’expression de changements internes. Ma transition s’est principalement caractérisée par l’évaluation et l’abandon des restrictions, des exigences et des attentes que ma socialisation en tant que femme m’avait précédemment imposées. J’ai commencé à me sentir plus libre, moins limité·e et surtout plus moi-même. Dans une certaine mesure, cela s’est également reflété dans mon apparence : J’ai commencé à m’habiller davantage en fonction de ce que j’aimais, et non en fonction de ce que je pensais qu’une personne comme moi devait porter. Parfois, cela signifie que je porte des tenues plus masculines. Toutefois, cela ne signifie pas que je n’aime plus porter des robes ou des jupes, ni me maquiller. Les personnes non-binaires ne devraient pas être obligées de s’habiller d’une manière spécifique en fonction de leur sexe. Les personnes non-binaires n’ont pas besoin d’avoir une apparence spécifique pour être suffisamment non-binaires ou trans.

De manière générale, lorsque nous réfléchissons à ce que signifie être trans, et plus spécifiquement à ce qu’implique une transition, nous invoquons souvent le fait que la transition médicale et hormonale est l’aspect principal de la transition. Et bien que l’accès aux chirurgies et aux traitements hormonaux soit absolument crucial pour les hommes et les femmes trans, ainsi que pour les personnes non-binaires, ce n’est pas toujours l’aspect principal d’une transition. Par exemple, je n’ai même pas changé de nom, car je pense que Mara est un nom suffisamment neutre. En même temps, j’envisage de prendre des hormones, mais je n’ai pas encore commencé à le faire. Il est important, tant pour les femmes et les hommes trans que pour les personnes non-binaires, de décentraliser les aspects de la transition médicale en tant qu’aspect unique et principal de la transition. La décision de subir des opérations chirurgicales et des interventions médicales, et de prendre ou non des hormones, devrait être entièrement laissée à la discrétion des intéressé.es. À l’heure actuelle, la prescription d’hormones implique un parcours très intrusif qui consiste à se faire examiner par un psychiatre afin de déceler une dysphorie de genre. Ce sont donc des praticien·nes majoritairement cis-genre qui décident si une personne est suffisamment trans et si elle est suffisamment « stable mentalement » pour prendre une décision éclairée concernant son propre corps. L’autonomie corporelle des personnes devrait être la priorité centrale dans le soutien aux personnes transgenres dans leurs transitions respectives, et non l’intrusion dans leur vie privée et la pathologisation.

Être non-binaire au Luxembourg

Je suis revenu·e au Luxembourg il y a environ quatre mois. Ne plus vivre à Londres signifie que, bien que je sois toujours non-binaire, les contexte différent du Luxembourg, tant sur le plan linguistique que culturel, ne m’a pas aidé me faire sentir moins non-binaire. Il existe certaines pratiques et normes sur la manière de traiter les identités de genre des uns et des autres auxquelles je me suis habitué·e pendant mon séjour à Londres. Cela comporte de tels mécanismes que la simple salutation de mon entourage et de l’échange d’amabilités en utilisant mes prénoms préférés. Cette prise de conscience, qui n’est pas nécessairement la norme partout à Londres, fait souvent défaut au Luxembourg. Le vocabulaire neutre en luxembourgeois n’est pas très connu ou utilisé. En français et en allemand, l’utilisation d’un langage neutre et sensible au genre est déjà beaucoup plus facile pour moi et mes pairs. Cela souligne la nécessité, tant dans les espaces LGBTQI+ que dans tous les espaces au Luxembourg, de s’efforcer d’être plus à l’écoute de la diversité des identités et des expressions de genre, afin que tout le monde se sente le bienvenu et apprécié.