La Pride Week 2024 se déroulera dans la ville d’Esch, au sud du Grand-Duché, du 6 au 14 juillet. Elle marquera sa 25ème édition et sera l’événement phare du ‘Pride Month’, un mois d’événements culturels, sociaux et politiques et d’actes de visibilité LGBTIQ+. queer.lu s’est entretenu avec les membres du Comité d’organisation de la Pride, Laurent Boquet, Andy Maar et Tania Whitehouse, afin d’obtenir un aperçu de ce qui attend les visiteur.ices cette année et d’en savoir plus sur leur engagement de plus de dix ans dans l’organisation de la Pride au Luxembourg.

queer.lu : Que signifie la Pride Week pour vous, et la Pride est-elle toujours d’actualité ? Tania, si tu peux commencer, en tant que plus jeune membre du conseil d’administration de Rosa.

Tania Whitehouse : Avant de rejoindre Rosa, j’étais dans ma bulle queer, espérant que les changements positifs pour les personnes LGBTIQ+ soient inévitables, mais je me rends compte aujourd’hui que les gens n’acceptent pas nos droits durement acquis comme on pourrait l’espérer, en particulier la jeune génération qui semble sous l’emprise d’idées et d’idéologies extrêmes. Pour moi, cette année, la Pride signifie être fière de ce que l’on est et ne pas ressentir de honte. Il s’agit de partager l’amour et le soutien, de lutter pour plus de droits et pour l’égalité, mais aussi de reconnaître que parfois l’équité et l’égalité ne sont pas la même chose.

Laurent Boquet : Lorsque la Pride a vu le jour, il s’agissait principalement d’une révolte contre l’oppression, et en particulier contre la répression policière. Nous avons parcouru un long chemin depuis lors et bien que nous ne nous battions plus contre la police pour notre droit à organiser des manifestations pacifiques, il reste encore beaucoup à faire pour la communauté, mais nous sommes fiers du fait que nos marches aujourd’hui incluent des policiers ouvertement queers. En ce qui concerne l’importance ou la pertinence de la Pride aujourd’hui, nous sommes toustes d’accord pour dire que la Pride est toujours vitale au Luxembourg. Nous continuons à nous battre pour nos revendications politiques, qui vont de l’interdiction des thérapies de conversion à la reconnaissance des identités de genre, en particulier l’abandon du système binaire sur les documents d’identité, en passant par la lutte contre toutes les formes de discrimination sur le lieu de travail et contre les crimes de haine à l’encontre des personnes LGBTIQ+. Depuis que je fais partie de l’organisation de la Pride, je n’ai jamais ressenti autant que cette année le besoin de descendre dans la rue pour manifester en faveur de nos droits, car je suis très préoccupé par la montée de l’extrême droite dans toute l’Europe depuis les dernières élections européennes.

Andy Maar : Comme mes collègues l’ont mentionné, nous sommes toustes confronté.es à des menaces croissantes de la part des forces conservatrices à travers l’Europe, même au Luxembourg, où l’extrême droite a obtenu un siège au Parlement européen lors des dernières élections. Il est clair que ces forces sont déterminées à faire reculer les droits que nous avons obtenus au prix d’un dur combat en tant que communauté LGBTIQ+ et nous ne devons pas laisser cela se produire.


queer.lu : Donnez-nous un bref aperçu de la Pride au Luxembourg

Andy Maar : La Pride a été organisée pour la première fois à Luxembourg en 1999. Elle était connue sous le nom de « Gay Mat » et a évolué d’une journée d’action avec des stands d’information à un festival de rue sur la Place d’Armes au centre de la capitale. Lorsque j’ai rejoint le groupe de travail organisateur en 2009, nous avons rapidement réalisé qu’une grande partie de la communauté souhaitait davantage d’activités. À partir de 2010, nous avons donc essayé de donner une plateforme à de nombreuses facettes de la culture queer lors de la Pride, sans pour autant négliger le message politique de base. Des soirées cinéma, des tables rondes et des expositions ont rapidement complété le programme.

queer.lu : Laurent, la Pride est-elle toujours une manifestation politique ou est-elle devenue une occasion pour les politicien.nes de redorer leur image et d’attirer les votes LGBT ? 

Laurent Boquet : La politique est toujours au cœur de la Pride, c’est pourquoi le premier camion de la Pride a toujours été celui qui portait nos revendications politiques. 

Quant à la présence des politiques, que ce soit à travers des stands représentant leurs partis ou à titre personnel, Rosa Lëtzebuerg ne peut que rassembler tout le monde. A mon avis, c’est non seulement le droit mais même le devoir des politicien.nes de faire face à la communauté queer lors de cet événement. Nous sommes conscient.es que certains membres de la communauté peuvent s’y opposer, mais pour moi, il est très important que la Pride Week reste une opportunité pour les personnes LGBTIQ+ d’avoir un accès direct aux politicien.nes, d’échanger avec elle.eux et de leur dire ce qui les préoccupe.

queer.lu : Quel message adressez-vous aux responsables politiques cette année ?

Andy Maar : Exactement, lors de la Pride, tout le monde a la possibilité de s’adresser aux responsables politiques et aux partis pour leur parler de leur travail. C’est le seul moyen d’entamer un dialogue constructif et le seul moyen pour que les demandes de la communauté soient reconnues et comprises. En ce qui concerne nos revendications, nous avons décidé de conserver les mêmes que l’année dernière. Celles-ci restent les plus urgentes à l’heure actuelle et comme rien n’a changé au niveau législatif depuis l’année dernière, il est d’autant plus important de rappeler aux responsables, dont certains sont nouveaux, les demandes de la communauté.

Laurent Boquet : Nous avons eu des entretiens avec différents ministres ces derniers temps, afin de défendre nos droits et de leur rappeler nos revendications. Bien que certains membres de la communauté affirment que la saison électorale est derrière nous et que la plupart des politiciens ressentent moins de pression de la part de leurs électeur.ices, les ministres de la santé et de l’égalité des genres et de la diversité se sont engagé.es à se déplacer pour la Pride afin de rencontrer la communauté. 

queer.lu : Tania, pourriez-vous nous parler de la sécurité pendant la Pride. Vous sentez-vous personnellement en sécurité en tant qu’individu queer participant au festival ?

Tania Whitehouse : Je dirais que je ne me sens pas en danger à la Pride du Luxembourg. J’ai participé à de nombreuses Pride où je me suis sentie moins en sécurité. Je pense que le protocole de sécurité mis en place lors de la Pride au Luxembourg est assez sûr. En tant qu’organisateur.ices de la Pride, nous travaillons en étroite coordination avec de nombreux partenaires pour garantir la sécurité du festival, qu’il s’agisse des forces de police, des services d’urgence et de premiers secours ou du personnel de sécurité formé.

queer.lu : Andy, Laurent, parlez-nous du protocole de sécurité mis en place ?

Andy Maar : Tout d’abord, en tant que membre de l’European Pride Organisers Association (EPOA), Rosa Lëtzebuerg est particulièrement sensible à la question de la sécurité. Nous participons chaque année à des formations et à des ateliers sur la sécurité des participant.es et des visiteur.euses. Laurent peut vous donner plus de détails sur les mesures de sécurité.

Laurent Boquet : La Pride est un événement majeur au Luxembourg et, en tant que tel, peut constituer un événement à haut risque pour la sécurité et nous devons donc respecter des mesures très strictes. Chaque année, nous organisons une réunion avec le département de la police pour clarifier quand et où il est important d’avoir une présence policière. Par exemple, la cérémonie interconfessionnelle, qui accueille des représentants des religions juive, chrétienne et musulmane, s’est toujours déroulée avec une présence policière renforcée. Pendant la fête de rue, nous avons des équipes de premiers secours et d’urgence, ainsi qu’une ambulance sur place. En outre, nous travaillons avec une société de sécurité privée, qui reçoit de notre équipe une formation spéciale pour le festival. Elle patrouille régulièrement dans toutes les zones privées et publiques autour de la scène principale à Esch. En ce qui concerne la sécurité pendant la Marche des Fiertés, nous demandons à chaque participant.e de désigner une personne de référence pour le camion ou le groupe de piétons avec lequel il ou elle marche, et de se référer immédiatement à cette personne en cas de besoin. En outre, nous donnons à chaque individu ou groupe participant une formation à la sécurité le jour où nous tirons au sort l’ordre de départ de la marche.

queer.lu : Restons-en à la Marche des Fiertés. Tania, de nombreuses entreprises participent chaque année à la Marche des Fiertés. Que pensez-vous de l’aspect commercial de la Marche des Fiertés ? Comment vous assurez-vous que ces marques sont authentiquement inclusives lorsqu’elles se joignent aux célébrations des Fiertés ou les sponsorisent, et existe-t-il des mécanismes pour contrôler leur comportement avec leurs employé.es et partenaires LGBT+ ?

Tania Whitehouse : C’est un sujet assez difficile. La Pride est une manifestation importante et coûteuse et, comme toutes les grandes manifestations, il est parfois difficile de travailler avec des sponsors. En tant qu’organisateur.ices, nous sommes toujours dans une situation d’équilibre entre la garantie de la solvabilité et de la continuité de la Pride en tant qu’événement important pour la communauté et les processus d’approbation des entreprises et des marques qui participent à la Marche des Fiertés. Laurent et Andy développeront cette question, mais je voudrais souligner que notre travail en tant que membres de Rosa Lëtzebuerg asbl, y compris les membres du conseil d’administration, est bénévole.

Laurent Boquet : Je confirme ce que vient de dire Tania sur le caractère bénévole de notre travail en tant que membres de Rosa Lëtzebuerg asbl. Pour remercier nos membres de leur dévouement désintéressé, Rosa Lëtzebuerg asbl couvre les besoins de base de l’équipe d’organisation, comme leurs repas et leurs boissons pendant la Pride. Permettez-moi de revenir sur le coût financier de la Pride. On estime que le coût de la Pride Week s’élève à environ 250 000 euros. La moitié du budget est couverte par la ville d’Esch, qui accueille l’événement. Le ministère de l’égalité entre les genres contribue à hauteur de 5 % et nous collectons le reste du financement par le biais du sponsoring. Comme vous pouvez le constater, une grande partie du financement provient de fonds publics. En outre, nous avons des conditions assez claires pour les entreprises qui souhaitent participer à la Pride. Nous avons le Rainbow Business Owner Network, géré par Rosa Lëtzebuerg. Pour accéder à ce package, il faut être membre de ce réseau. Ainsi, pour qu’un sponsor puisse rejoindre la Pride, il faut, par exemple, être signataire de la Charte de la diversité. Nous avons refusé plusieurs sponsors cette année, soit parce qu’ils ne remplissaient pas nos conditions, soit parce qu’ils n’avaient pas signé la charte.

queer.lu : Parlez-nous du thème de la Pride cette année et de la programmation très attendue.

Andy Maar : Notre thème cette année est « Ensemble dans l’unité, fier.es dans la diversité ». Il reflète la nécessité pour notre communauté de se rassembler, plus que jamais, et de montrer que nous sommes uni.es dans notre diversité. Nous appelons donc nos sœurs, frères et allié.es LGBTIQ+ à se rassembler. La Semaine de la Pride culminera avec la marche des fiertés et le festival de rue dans la ville d’Esch, comme vous l’avez mentionné. Cette année, Conchita Wurst, Bilal Hassani, Gustaph, Alessandra, Madame Yoko et bien d’autres DJ, artistes et interprètes talentueux sont à l’affiche. 

queer.lu : Parlez-nous de votre Pride préférée de la dernière décennie et dites-nous pourquoi ?

Tania Whitehouse : 2023 a été l’année la plus marquante. Cette année-là, j’ai eu ma première expérience pratique dans l’organisation de la Pride et j’ai beaucoup appris sur la façon de gérer le temps et les efforts et j’ai réalisé la quantité de travail que l’ensemble de l’organisation implique. J’étais évidemment épuisée physiquement à la fin de l’événement parce qu’il faisait très chaud et que je travaillais entre les différents lieux de la Pride, aidant mes collègues à s’occuper des visiteur.euses. Tout cela a été très émouvant, mais j’en ai profité à fond. Il est évident que nous pourrions faire mieux avec plus de bénévoles, c’est pourquoi je lance un appel à toustes cell.eux qui souhaitent rejoindre notre équipe.

queer.lu : Et vous Laurent, Andy ?

Laurent Boquet : La Pride est un effort collectif. Ce ne sont pas seulement les quelques personnes dévouées de Rosa qui en font un événement réussi chaque année. C’est la communauté dans son ensemble. Nous essayons vraiment d’inclure le plus grand nombre de personnes possible. Nous sommes peut-être perçu.es comme un groupe de travail fermé, mais nous sommes véritablement ouvert.es à toustes, membres et non-membres. Nous sommes ouvert.es et nous aimerions que toustes cell.eux qui se sentent à l’aise dans l’organisation de cet événement se joignent à nous. C’est donc à mon tour de lancer une invitation, tout comme Tania.

J’en viens maintenant à votre question sur ma plus belle Pride : Je fais partie du comité organisateur depuis 16 ans. Chaque année a été meilleure que la précédente. La première Pride s’intitulait « Gay matt, och fir eis » (« Viens avec nous, viens aussi pour nous » Note: “Gay”, prononcé à l’anglaise et l’impératif “viens” en luxembourgeois sont des quasi-homophones) et portait sur la question de l’égalité des droits en matière de mariage. Nous avons été ravi.es de constater que nos efforts ont porté leurs fruits cinq ans plus tard, lorsque le mariage entre personnes du même sexe a été adopté par la loi. Entre-temps, notre équipe a appris à se connaître, nous avons tissé des liens d’amitié et nous sommes devenu.es une famille.

Andy Maar : J’ai eu trois expériences marquantes avec la Pride : la première a eu lieu en 2019, lorsque nous avons organisé la marche pour l’égalité dans la ville d’Esch. Nous avions des craintes quant à l’affluence du public et nous avons été positivement surpris de voir qu’il y avait autant de monde sur la place principale que le défilé, avec ses camions et ses manifestant.es, avait du mal à arriver jusqu’à la place principale. L’édition 2020 a également été très émouvante pour moi, même si elle s’est déroulée principalement en ligne en raison de la pandémie de Covid. Pour moi, c’était la forme la plus pure d’une Pride. Elle a été entièrement organisée à distance par de nombreux.ses membres de nos communautés, et la « Marche pour l’égalité numérique » a été réalisée par des personnes qui ont déployé tant d’efforts alors qu’elles étaient encore en quarantaine. Ma dernière Pride mémorable date de 2022, et l’expression inoubliable que j’ai vue sur le visage d’un jeune sur la place de l’hôtel de ville d’Esch. Il avait à peine 16 ans et avait le drapeau arc-en-ciel peint sur tout le visage et portait un drapeau arc-en-ciel en guise de casquette. Sa joie et son énergie rayonnaient à travers toute la place.

Queer.lu : Pour conclure cette interview, j’aimerais savoir comment vous considérez la Pride, comme une protestation ou une célébration ?

Tania Whitehouse : Je ne pense pas que l’on puisse séparer l’un de l’autre. C’est une célébration de ce que nous sommes en tant qu’individus et en tant que communauté, et c’est une protestation contre toustes cell.eux qui veulent nous arrêter, nous empêcher d’être qui nous sommes.

Laurent Boquet :  Nous avons eu plusieurs éditions de la Pride depuis que j’ai rejoint le comité d’organisation. Nous avons célébré et protesté à chacune d’entre elles. Nous nous sommes battu.es pour obtenir l’égalité en matière de mariage, et nous l’avons obtenue lorsque la Chambre des députés a adopté la loi sur l’égalité en matière de mariage, des années plus tard. Pour moi, la Pride, c’est les deux à la fois : Célébrer et protester. Les deux vont de pair.

Andy Maar : Je pense qu’il faut que ce soit les deux à la fois. Je me souviens des premières Prides que nous avons organisées. À l’époque, il était très difficile de trouver des artistes et des interprètes qui osaient monter sur scène. Aujourd’hui, nous avons une liste d’attente de personnes qui souhaitent se produire lors de la Pride, qui est devenue l’événement culturel de célébration par excellence pour les personnes LGBTIQ+ au Luxembourg. D’un autre côté, la Pride reste une manifestation politique parce que c’est l’événement le plus opportun pour exprimer nos revendications politiques en tant que communauté.

Queer.lu : Merci à toustes pour votre temps et vos éclairages.

Photo: Kusaï Kedri

Article traduit de l’Anglais